une matinée ordinaire à Maïmba

Publié le par Sandrine et François

Voici un petit texte que j’ai écrit en février dernier pour la DCC, sur le thème : « la classe, théatre de l’interculturel ». L’article est paru en avril dans la revue de la DCC. Bonne lecture. François

 

 

Il est 7h20, après 15 minutes de marche à pied à travers les champs bordés de rôniers, de karités et de caïlcédrats, nous arrivons à Maïmba, l’école agricole dans laquelle nous travaillons depuis un an et demi. Déjà, les élèves de services viennent balayer la classe et la cour avec leur petit balai. Depuis le puits, Léa amène l’eau, sur sa tête, pour remplir le canari qui est dans le fond de la classe. Ainsi les élèves pourront boire pendant la matinée. Nous sommes fin février et il commence à faire chaud.

La première impression quand on rentre dans une classe, à Maïmba, c’est qu’il n’y a vraiment pas grand-chose : un tableau, des tables, quelques livres, des craies… Pas de vitres, les quatre fenêtres ferment avec une tôle, qui est retenue avec une tige de mil… Sur un mur de la classe : « le fouet est l’instrument de base de l’enseignement », pourquoi pas…

 

Aujourd’hui, Sandrine enseigne seule avec les CE1. D’habitude, elle est avec son collègue Jérémie Allatoïngar. Nous nous partageons la classe pour échanger sur les pratiques pédagogiques. Beaucoup de maîtres ici ne sont pas formés. Moi, le jeudi, j’enseigne avec Benjamin Noubarangué, je fais l’expression écrite et les maths, il fait le civisme. Jérémie n’est pas là aujourd’hui car il remplace le collègue de CP2, Prosper Nanhoton, parti à l’hôpital car son fils est malade.

 

A 7h30, on sonne la cloche, une espèce de jante de voiture accrochée au caïlcédrat. Il manque encore beaucoup d’élèves, et Benjamin qui n’est toujours pas là… C’est un peu agaçant cette habitude d’arriver tout le temps en retard ! Les élèves arrivent au goutte à goutte, les cahiers sur la tête. A 7h35, Benjamin arrive sur son vélo, tranquille…

 

A 7h45, on fait l’appel. Tout le monde est là sauf Josué qui est bouvier : chaque jour quelques élèves sont chargés d’accompagner le troupeau de l’école, une cinquantaine de bête, à travers les champs, toute la journée et n’ont donc pas classe.

 

La leçon peut commencer. Expression écrite. C’est un cours qui est très difficile à faire : les élèves ne parlent presque jamais français, leur niveau est très faible. C’est un domaine qui offre aux élèves une liberté d’expression dont ils n’ont pas l’habitude. Depuis que nous sommes au Tchad, nous avons constaté que la plupart des cours sont « formatés ». Les élèves sont habitués à ce qu’il n’y ait qu’une seule solution possible : chacun fait son exercice, on corrige et tout le monde, bien proprement, prend la correction sur le cahier. L’expression écrite les oblige à réfléchir par eux-mêmes, à créer. Cet apprentissage doit donc se faire en douceur. Le thème de ce matin : « écrire un texte d’information ». Je me lance : « Qu’y a-t-il à Goundi ? Dites-moi et je remplis le tableau ». Quelques bras se lèvent : l’hôpital, le marché, des voitures… ça a l’air de marcher. Puis tout le monde veut parler, même les filles qui parlent très peu. Bientôt, je suis obligé de lever le ton : « Pas tous à la fois ! Levez le doigt ! » Mais secrètement je jubile : ça marche ! Au bout de quelques minutes le tableau est rempli. On aura bien ri. Emmanuel dit qu’il y a des éléphants, un autre des girafes… ça fait des années qu’il n’y en a plus dans cette région. Maintenant, je peux laisser les élèves seuls face à leur copie. Je peux mesurer tout le progrès qu’on a réalisé depuis quelques mois.

 

De son côté, Sandrine a eu plus de difficultés ce matin. Apprendre le repérage dans le temps, les années qui passent, « la ligne de vie » des élèves n’est pas aisé, car les élèves ne connaissent ni leur date de naissance, ni l’année de leur arrivée à l’école. Au final, nous aurons passé une matinée agréable tous les deux. Nous nous sommes bien habitués à ces enfants, et ils se sont bien habitués à nous. Il y a un an et demi, ce n’était pas gagné : nous sommes tellement différents. Pour beaucoup d’entre eux, nous sommes les premiers Blancs qu’ils rencontrent. Non, nous ne venons pas pour donner. Nous venons pour travailler avec vous, pour vous faire travailler et ce ne sera pas facile ! De notre côté, il nous aura fallu apprendre à les connaître, ces gamins. S’habituer à leurs réactions qui nous paraissent bizarres, dans cette région où les traditions sont très vivaces. L’initiation des garçons a compliqué les choses cette année: tous les garçons de l’école ont changé de prénom, et ils ne nous ont pas reconnu à la rentrée de septembre ! En même temps, cet épisode nous a permis de comprendre beaucoup de choses sur leur culture, et du coup d’être plus à l’aise en classe.

 

Pour chaque discipline, nous essayons d’apporter notre touche personnelle, qu’un professeur local ne pourrait peut-être pas apporter. Nous accordons beaucoup d’importance à l’esprit critique, à la place de l’erreur, à l’initiative personnelle, à l’efficacité… Nous nous rendons compte de la formation en France qui est vraiment de qualité, ce qui n’est malheureusement pas le cas dans ce pays (où les diplômes s’achètent et où beaucoup sont persuadés que les compétences ne servent à rien). Nous nous rendons compte aussi qu’avec le peu de moyens qu’il y a ici, certains maîtres font un travail remarquable, bien mieux que nous.eut-être que le plus important est qu’on montre aux élèves qu’on s’intéresse à eux : ils adorent nous apprendre quelques mots de leur langue, nous raconter des histoires de leur petite vie. Ce sont nos meilleurs moments de cette coopé. C’est très riche et plein d’espoir. Quelque part, on leur dit « votre culture a beaucoup de valeur à nos yeux ». Dans ces situations de classe où tout nous montre que nous sommes différents, nous apprenons qu’il est possible de travailler ensemble.

 

 

 

 

 

 

 

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M
Bonsoir Sandrine et François!Je suis Tchadien et vivant à l'étranger.Je suis opposant au régime de Deby et vous invite à visiter mon blog.MerciMakaila
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